mardi 10 octobre 2017

Non, on est pas tous un peu autiste.

Lorsqu'on annonce un diagnostic d'autisme à son entourage, on est souvent confronté à toutes sortes de réactions plus ou moins étranges. Certains seront soulagés de pouvoir mettre un mot sur notre différence et feront rétrospectivement l'analyse de tous nos comportements inadaptés en s'exclamant "mais c'est pour çaaaa". D'autres seront plutôt dans le déni et t'expliqueront que c'est impossible parce que l'autisme c'est une "maladie* très grave" et que toi, tu: - parles - fais des câlins - regarde dans les yeux - a de l'humour (rayer la mention inutile). Quelques-uns, plus dubitatifs et souvent fans aguerris de science fiction, te demanderont peut-être de compter en un clin d'oeil le nombre d'allumettes présents sur la table ou de réciter le tableau périodique à l'envers pour le prouver. Sans oublier ceux qui te demanderont d'un regard méfiant si tu aimes te balancer et si tu es tout de même capable de ressentir des émotions.

L'autisme reste méconnu dans les pays francophones, même si les informations à son propos se multiplient depuis quelques années et il n'est donc pas rare d'être obligé de se battre contre les préjugés. Quasiment tous les autistes fraîchement diagnostiqués se sont vus se lancer soudainement dans des explications toutes plus précises les unes que les autres afin d'informer au mieux et d'éradiquer une bonne fois pour toutes les clichés les plus tenaces.


Mais, même si la plupart des réactions citées ci-dessus peuvent faire sourire, il en est une qui a le don de me faire bondir de ma chaise en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, une injonction qui m'énerve encore plus que le fameux "mais t'as pas l'air autiste" et que malgré mes efforts effrénés pour en saisir le sens premier, je ne comprendrais jamais. Mesdames et messieurs, roulement de tambours,  j'ai l'honneur de vous présenter la fameuse:



"Tu sais, on est tous un peu autiste"



L'autisme étant un spectre allant de sévère à léger, je peux aisément concevoir qu'on ait du mal à distinguer la frontière entre ses différents degrés de sévérités, d'autant que certains auront des difficultés plus marquées dans un domaine et compenseront plus facilement dans d'autres. Mais contrairement à ce que l'on tend à croire, la neurotypie** n'est pas l'équivalent d'un autisme très léger. Tu ne peux pas te balader sur l'extrémité légère du continuum autistique et basculer de temps en temps au pays merveilleux de la neurotypie. Ca ne fonctionne pas comme ça. Pour faire la différence, il existe un seuil défini bien précis, aussi appelé "seuil de diagnostic".






Un autiste ne sera jamais neurotypique, au même titre qu'un neurotypique ne sera jamais autiste. Ils se distinguent par un fonctionnement cognitif totalement différent et un défaut de modulation sensorielle plus ou moins prononcé et ce, quel que soit le degré de sévérité de l'autisme.


Tout d'abord, je ne comprends pas cette envie soudaine de se revendiquer "un peu autiste" dès qu'un autiste (un vrai, tu sais?) fait part de son diagnostic. Il n'y a aucune fierté spécifique à être autiste. Ce n'est ni une compétence particulière, ni un exploit. C'est un fait, c'est notre condition, c'est une partie de notre identité. Ca n'a rien de glorieux et ça n'implique aucun super pouvoir non plus.

Pour poser un diagnostic d'autisme, il faut réunir un certains nombre de critères très spécifiques. L'hyperesthésie***, par exemple, n'est pas exclusive aux Troubles du Spectre Autistique et peut être coutumière d'individus ne présentant aucune affection neurologique, psychiatrique ou physiologique. Au-delà des symptômes présents, qui peuvent potentiellement se retrouver indépendamment dans certaines pathologies, il est important de se pencher sur leur vivacité et leur durée ainsi que sur les mécanismes à l'origine de ces dysfonctionnement. SuperPepette explique très bien ici ce concept de temporalité et cette intensité significative des particularités autistiques. 


L'autisme à la carte, ça n'existe pas


Rappelons également que l'autisme est un trouble reconnu officiellement comme étant un handicap invisible. Un handicap que l'on vit au quotidien et qui n'a absolument rien d'enviable. Que certaines personnes avec autisme compensent, c'est à dire, qu'elles parviennent à palier un temps à certaines de leurs difficultés et qu'elles arrivent parfois à se "fondre dans la masse" ne signifie en aucun cas que leur handicap a miraculeusement disparu. Ca ne veut pas non plus dire qu'en prenant sur soi on finit par masquer complètement nos différences et à s'intégrer de façon constante à la société actuelle. Il n'y a pas de baguette magique, pas de remède miracle.

Ces dernières années, on a constaté l'émergence de nombreux personnages porteurs du Syndrome d'Asperger à l'écran. Des personnages qui sont, pour la plupart, dotés d'une intelligence plutôt haute et dont les difficultés principales sont minimisées, voir tournées à la dérision. On s'enfonce dans le cliché de l'autiste asocial qui ne supporte pas de faire la queue au supermarché mais se rend sans difficulté à une conférence d'astro-physique (si ce n'est pas lui qui la donne). L'autiste est marginal et on apprécie sa compagnie, on rigole de ses quelques maladresses et on s'incline devant son esprit méticuleux.

Je suis désolée de vous décevoir, mais ce cliché de l'autiste idéalisé ne se vérifie que très rarement et n'est absolument pas représentatif de la majorité des personnes concernées. L'autisme, c'est un décalage permanent et une perception différente du monde qui nous entoure. Ce sont des particularités sensorielles qui font que l'on peut avoir des difficultés quotidiennes à effectuer des tâches que la plupart des personnes neurotypiques réussissent sans encombre. C'est une alteration de la vie sociale dans tous les domaines, soit parce que nos perceptions différentes et nos réactions  entraînent un rejet total ou partiel, soit parce que nos efforts d'adaptabilité sont source d'angoisses et d'épuisement.


Qu'est-ce que vous voulez vraiment dire

quand vous dites qu'on est tous un peu autiste?


La plupart des personnes neurotypiques ont déjà fait l'expérience d'une fatigue intense après un rassemblement social ou de réactions anxieuses face à une situation donnée. La plupart ont déjà fait preuve de maladresse en société et ont une fois eu du mal à contenir leurs émotions. Pourtant, il s'agit là d'évènement isolés qui ont une durée limitée dans le temps et n'ont pour ainsi dire aucune incidence sur leur vie à long terme. Les personnes avec autisme feront ces expériences tout au long de leur vie, et, même si les mécanismes développés en vue de compenser leurs difficultés peuvent faire illusion, les conséquences sur leurs expériences personnelles et/ou socio-professionnelles ne sont pas négligeables.



Dire que l'on est tous "un petit peu autiste" revient à nier complètement la souffrance des personnes avec autisme. C'est écraser leurs difficultés, rabaisser le courage dont ils font preuve pour affronter tant que bien que mal certaines situations de la vie quotidienne - situations qui, soit-dit en passant, paraissent cruellement banales aux yeux des personnes neurotypiques-.
C'est dénigrer leur combat continuel et réduire leurs efforts à néant.


Alors, si malgré ces explications vous souhaitez vous aussi être "un petit peu" autiste, je partagerai volontiers mes angoisses parfois extrêmes, mon isolement social, les nombreux malentendus avec les personnes que j'aime, mes sentiments chroniques de vides et mes journées cloîtrées en boule sur mon canapé parce que je n'ai plus la force de me lever. J'échangerai avec plaisir les regards dédaigneux lorsque je ne sais pas m'arrêter de parler de ce qui me passionne, mon incapacité à tenir un emploi - que j'aime, pourtant- au delà de quelques mois, mes crises de surcharge, mes meltdowns et mon inaptitude flagrante à exprimer mes sentiments de manière socialement acceptable.



* l'autisme n'est pas une maladie mais un trouble neuro-développemental.
** neurotypique: désigne une personne non autiste.
*** l'hyperesthésie désigne l'exagération physiologique ou pathologique de la sensibilité des divers sens.

4 commentaires:

  1. Article très intéressant, merci! Mon fils de 7 ans vient de recevoir un diagnostic d'autisme léger et j'ai du mal à comprendre ce qu'il vit, en ce sens que je ne connais pas le degré de "sévérité" des traits caractèristiques dont il fait preuve. Tous les livres que je lis sur le sujet parlent de l'autisme de façon générale et mais ne donnent pas tant de stratégies utilisables selon si c'est léger, moyen ou sévère et je me sens un peu démunie en ce moment à ce niveau-là. Bon succès!

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  2. Le degré de sévérité peut varier. Par exemple, certains compensent bien plus facilement au niveau social et ne sont par contre pas du tout autonomes. Ce fossé d'intensité entre les différentes caractéristiques n'est pas rare.

    Je ne sais pas, par contre, s'il y'a vraiment des stratégies toutes faites. Vous êtes parent, à l'écoute de l'enfant, vous apprendrez ensemble à avancer, à gérer cette différence et à palier aux difficultés petit à petit. Que l'on soit parent d'un enfant NT ou d'un enfants aux besoins particuliers, nous faisons tous des erreurs et elles nous permettent d'apprendre à nous connaître. Je vous souhaite une belle continuation, un beau cheminement avec votre enfant merveilleux.

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  3. Bonsoir, je suis asperger ainsi que ma famille. Qu'entendez vous par degré de sévérité ? Est ce le fait de se fondre dans la masse au point que l'on ne paraît pas autiste comme le disent certains ? Il y'a autant d'autistes que de personnes et même celles qui réussirent à le camoufler le restent. Elles ressentent un décalage avec la majorité, ne comprennent pas pourquoi certains agissent méchamment...Je suis maman et je comprends votre envie de comprendre votre enfant pour l'accompagner au mieux. J'imagine comme cela doit etre difficile voire frustrant d'ignorer ce que votre enfant ressent. Je dirais juste faites vous confiance, fiez vous à votre instinct. Bien sûr les livres que vous lisez vous aideront à l'accompagner. L'être humain est complexe de toute façon. Bref ce que j'essaie de dire c'est que c'est en observant les réactions de votre enfant que vous réussirez à trouver les clés. Ensuite si le quotidien est compliqué il existe les thérapies cognitives comportementales et les guidances parentales. Et le plus important c'est que votre enfant sache que vous l'aimez pour ce qu'il est.
    Voilà c'est un peu long mais c'est ce que j'essaie d'appliquer aussi. Je vous souhaite une bonne continuation. Juste une petite chose qui a son importance. On est autiste mais sincèrement on est comme tout le monde et c'est bien dommage que beaucoup ne le perçoivent pas. C'est juste un fonctionnement différent. Bien à vous.

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  4. Bonsoir, Je suis la maman d'un jeune garçon autiste de 7 ans. Il serait tellement important et intéressant que vos témoignage soit rapporté aux enseignants, AVS, directeur d'école, enseignant référent... Car je me bat tout les jour contre des murs pour être la voix de mon fils qui ne peut pas encore suffisamment s'exprimer sauf à travers ces "troubles du comportement". Il est dommage qu'aujourd'hui, en France, on ne considère pas un enfant avant tout comme un enfant en faisant abstraction de nos représentations de sa différence!
    Merci à vous de ces témoignages,

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