mercredi 6 septembre 2017

Journal de bord du 06/09/2017


11h57 Monter dans le train. Chercher une place, LA place, ni trop près, ni trop loin de la sortie,  calculer afin de trouver la place la moins exposée aux allers-venues, anticiper les montées aux prochains arrêts. 10 pas dans un sens, demi-tour, 9 dans l’autre sens, il m’en manque un, demi-tour. Sensation oppressante, 10 pas tout rond, apaisement. Trajet connu. Fatigue, je m'installe comme à mon habitude, à gauche, contre la fenêtre. Impression soudaine d’être plaquée au sol par une force invisible.
Sensation de faiblesse dans les doigts, les mains, les poignets puis les bras. Et finalement les jambes.  Difficultés à écrire, à tenir mon téléphone, comme si mes membres étaient devenus rigides. Gestes brusques, imprécis, incapacité à coordonner mes mouvements, mon téléphone tombe, je me baisse, je me cogne, je me relève. Musique dans les oreilles, Brahms, Schubert, piano. Respiration calme, battements de cœur environ 80 bpm. Pas d’inquiétude, mais une sensation d’inconfort. 6 pas jusqu’aux WC, 4 jusqu’à la porte, 49 carreaux sur siège du devant. Il en manque un. J'enfonce mon bassin dans le crue du siège, mon bras à nu se pose contre le revêtement froid et rugueux de la fenêtre. Pression désagréable, pensées envahissantes. 49 carreaux. Coincer un bout de ma veste sous mon bras. Je m’appuie à nouveau contre la vitre gelée. Chaleur, apaisement.
              
 12h06 La voix du contrôleur retenti. Bienvenu à bord du TER Grand-Est, bienvenu à bord, bienvenu à bord, les portes claques, les sirènes sonnent, vacarme ahurissant, bourdonnement dans mes oreilles,  bienvenu à bord. Les mots prononcés par le contrôleur tournent en boucle dans ma tête, je l'entends vaguement prononcer la suite de son discours mais je ne suis plus capable d'en saisir le sens. Mes yeux se brouillent, comme un voile noir, sensation de malaise, TER Grand-Est, TER Grand-Est, TER Grand-Est, les mots résonnent un millier de fois dans ma tête, ils m’apaisent, je ne peux pas m’empêcher de les prononcer à voix basse. 1 minute, 2 minutes, le contrôleur ne parle plus depuis longtemps, les lumières m’éblouissent, je ferme les yeux et les mots résonnent encore, TER Grand-Est, TER Grand-Est, bienvenu à bord. L’odeur du plastique neuf des sièges me soulève le coeur, nausées, picotements violents dans le nez, dans la gorge. TER Grand-Est, TER Grand-Est, les mots s’enchainent inlassablement sans que je ne puisse les arrêter. Echolalie confortable, suite logique de mots connus, apaisement.
               
12h15 Premier arrêt, bruit de portes qui claquent, voyageurs qui discutent, échangent, se frôlent, bribes de phrases qui résonnent encore dans mon crâne. Je plaque mon casque contre mes oreilles,  Chopin, Hayden. Les voyageurs qui passent, rigolent, voix nasillardes, sourdes ou aigües, ils s'agitent autour de moi. Des mouvements à droite, à gauche, mes yeux partent dans tous les sens, incapables  de fixer un point, les lignes droites semblent se tordre soudainement. 2 néons en panne, s'allument, s'éteignent, douleur foudroyant mes orbites, sueurs froides. Mon corps entier semble se contracter, rigidité démesurée, j'attrape mon sac mais mes mouvements n'arrivent plus à se coordonner.  Les lumières vacillent, je ne sens plus mon corps, mes yeux se voilent. Je colle mon dos au dossier du siège, relève mes genoux le plus haut possible contre mon menton, envie d’être contenue de toute part, mon sac désormais serré fort contre ma poitrine, ma veste étendue par-dessus, mais elle ne remplace pas la grosse couverture dont j'aurais bien besoin. TER Grand-Est, TER Grand-Est, 9 pas, asymétrie, bancale, déséquilibre, sensation de vertiges. S’accrocher à  l’accoudoir du siège, 2cm de moi, 50cm de moi, incapacité à évaluer la distance qui me sépare des objets environnants, comme toujours.  Besoin que l’on me serre fort, comme un étau, mon corps m’échappe, ses contours sont flous, immatériels, tout va trop vite, trop de choses, trop d’informations, je ne sais plus les trier ni les ranger dans ma tête comme je le fais habituellement, les sons se mélangent, nausées.


 12h27 Répéter les mots entendus comme pour garder un pied dans la réalité. Espérer très fort que personne ne s’approche de moi, incapacité momentanée à gérer l’interaction, parler me semble impossible, douloureux, énergivore. Les néons s'éteignent, douce accalmie, puis repartent de plus belle. Beethoven, saccadé, rigide, couvre le bruit de pas des voyageurs passants à côté de moi. Je compte les personnes visibles de ma place, 4, 5, ils bougent la tête, les pieds, les mains, trop de mouvements, ma tête tourne, je voudrais qu’ils restent immobiles, que plus rien ne bouge. Je ferme les yeux, je colle mon dos contre le dossier, je m’enfonce dans le siège jusqu’à en avoir mal aux os. Je voudrais qu’on éteigne les lumières, elles m’agressent, pénètrent mes rétines, bougent, changent d’intensité. Je me sens ailleurs, déconnectée de la réalité, comme un automate, sensation de faiblesse dans tout mon corps, besoin irrépressible de bouger les épaules. TER Grand-Est, Grand-Est, Grand-Est, Besoin que tout autour de moi s’arrête de tourner, de bouger, de parler. Prochain arrêt, prochain arrêt, prochain arrêt, ces mots résonnent en arrière plan, je ne les contrôle pas mais ils m’apaisent encore un peu plus. 

12h35 Flash lumineux, lumière du soleil qui brille à travers les arbres, s’efface, revient, je ferme à nouveau les yeux avant de perdre pied. Angoisse. Yeux fermés, noir, apaisement. Battements de cœur 80bpm, comme toujours, l’angoisse n’est qu’intérieure, comme si elle n’existait pas vraiment, comme si mes sens se moquaient de moi. 29 minutes depuis le départ, 4 avant l’arrivée, bouger bientôt, rassembler mon corps. Serrer fort les poings, frapper contre mon ventre, sensation apaisante, les genoux sous le menton, frapper chaque centimètre carré de mon corps, comme si j’en retrouvais enfin les limites, les contours, comme si j’en prenais à nouveau conscience, comme si il existait à nouveau. Besoin d’être serrée très fort, de sentir où mon corps commence, où il s’arrête. Je cogne doucement mon front contre mes genoux, plusieurs fois, balancement au rythme du train, les vertiges disparaissent peu à peu. Apaisement.

12h41 S'engouffrer à l'extérieur, précipitation générale, le vent fouette ardemment mon visage. Respirer. Bousculade prévisible, gravir les escaliers, se réfugier entre deux blocs de béton. Volume au maximum, couvrir les bruits dérangeants, fuir le plus loin possible, nausées, l'odeur écoeurante du train qui freine trop fort. Saint Saens et même de l'opéra. L'homme qui s'arrête à ma hauteur, me regarde. Ses lèvres bougent mais je ne saisis pas ses paroles, je ferme les yeux, je prie pour qu'ils s'en aille J'ouvre à nouveau les yeux, il s'approche, je recule un peu, il réitère, je n'entends pas, j'arrache mon casque de mes oreilles, frissons, angoisse, je l'entends:

"J'aime bien vos cheveux, c'est parce que vous aimez Mylène Farmer?
- DEGAGE !"

Plainte incontrôlable, ma voix se brise. Autour de moi, les regards interloqués, choqués. Je presse mes mains contre mes oreilles, m'assois à même le sol, la tête dans les genoux, je mords inlassablement les jointures de mes doigts, cogne violemment mon dos contre le mur délabré. Haut-parleurs d'un bout à l'autre de la gare, nausées, poussières dans mes paupières. L'odeur du quai de la gare, les lampadaires qui s'allument lentement, l'impression de ne plus tenir debout, effacée, atterrée, submergée. Les passants qui me scrutent comme si j'allais les agresser.
Je ne suis pas méchante, je ne suis pas méchante, je ne suis pas méchante. 

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