lundi 20 novembre 2017

Un décodeur de neurotypiques, ça existe ?




Plus je grandis, plus j'évolue dans ma vie personnelle et professionnelle, et plus je ressens ce décalage social et relationnel caractéristique de l'autisme. Comme si, malgré tous mes efforts et toutes les stratégies mises en place depuis des années pour naviguer sereinement dans ce monde, il me manquait toujours les fonctions de base nécessaires qu'aucun apprentissage n'avait pu combler. Ces "modules" cognitifs, automatiquement intégrés à la naissance chez tout être humain neurotypique, sont le fondement même de l'être et déterminent la façon dont il appréhende les situations quotidiennes. Ils permettent de s'adapter de façon adéquate aux situations vécues et de manoeuvrer de façon à tisser des liens sociaux actifs dans le but de s'intégrer au mieux dans la société actuelle.

La compréhension des autres et de leur fonctionnement, ainsi que la perception différente du monde qui nous entoure constituent des difficultés colossales pour les personnes autistes. Alors, dans mon monde idéal, on a trouvé la solution: il suffirait de créer un décodeur de neurotypiques. Un tout petit objet cylindrique et lisse, qui tiendrait dans le creux de la main et se glisserait facilement dans une poche pour que je puisse l'emporter avec moi partout où je vais. Il disposerait des fonctions de base primordiales à la bonne compréhension des personnes qui m'entourent. Ce serait mon traducteur, mon adaptateur, mon régulateur social. En bref, un atout indispensable !




La fonction "lecture des pensées"


Ce serait indéniablement la fonction la plus utile; c'est en tout cas celle qui me fait le plus défaut à l'heure actuelle. Je serais enfin capable de connaître les pensées réelles de mon interlocuteur, mais aussi de déterminer ses émotions avec précision. Comme un petit logiciel de traduction instantanée, il isolerait les informations sous-entendus et implicites que je ne saisis pas et les transformerait en des phrases claires et sans équivoque. Encore mieux ! Il analyserait le langage non-verbal et l'intonation employée et m'enverrait une "Alerte ! Humour" ou bien encore une "Alerte ! Mensonge"chaque fois que c'est nécessaire, de sorte à ce que je ne passe plus à côté de l'essentiel de la communication globale.

Mon décodeur aurait en plus la faculté inestimable de lire littéralement les émotions sur le visage des gens qui m'entourent et de me décrire en détails ce qu'ils ressentent à chaque moment. Les émotions seraient regroupées par catégories, étiquetées avec une description précise des mécanismes de  leur fonctionnement et des réactions socialement acceptables à adopter. Les alertes "Attention, interlocuteur triste / fâché / ennuyé / vexé" s'activeraient au besoin et m'aideraient à décoder l'état d'esprit exact dans lequel se trouve mon interlocuteur. Il me serait alors bien plus facile de saisir les intentions et besoins des autres et de me conformer à leurs attentes. 







La fonction "code sociaux"




Voilà encore une fonction essentielle qui me manque cruellement au quotidien. Non seulement, j'aurais la possibilité de visualiser d'un coup d'oeil l'ensemble des conventions de rigueur, mais en plus, j'aurais la possibilité d'anticiper les réactions des autres face à mes paroles afin de ne plus commettre de faux pas. De plus, un petit "Rappel ! Les conventions sociales prévoient que l'on utilise telle ou telle formule à ce moment là"me serait bien utile, de sorte à ce que je ne passe plus pour quelqu'un d'impoli et distant, ou au contraire trop familier, même lorsque je suis persuadée d'avoir fait un sans faute. Pour aller plus loin, on pourrait même imaginer y intégrer un mode d'emploi détaillé qui expliquerait ce qu'il faut dire, à quel moment précis le dire, comment se positionner, quels sont les gestes appropriés.. autant d'informations essentielles qui nous manquent pour d'établir un contact social ou simplement relancer une conversation banale. Cela nous fournirait, en quelques sortes, un catalogue des interactions sociales, qui contiendrait un panel de petites phrases "passe-partout" à placer en société.

Le module "témoigner efficacement sa compassion" serait téléchargeable en supplément et m'expliquerait la marche à suivre pour exprimer verbalement les concepts d'empathie affective et de sympathie. Il m'éviterait, entre autre, de répondre systématiquement de façon pragmatique et rationnelle lorsqu'on m'expose un problème émotionnel et de prêter une oreille attentive sans donner l'impression erronée que les soucis de l'autre ne m'intéressent pas. 







La fonction "régulation des émotions"


... qui arrive en troisième position, mais qui n'en est pas moins importante que les deux premières. Je rêve depuis toujours d'avoir la capacité à gérer mes émotions comme les autres. Comme la plupart des personnes autistes, j'ai l'impression de n'exercer aucun contrôle sur l'expression de ce que je ressens. Tout est vécu de façon brute, ressenti à mille pour-cent. D'une seconde à l'autre, je passe d'un état à l'autre, comme si il n'y avait aucune nuance et que l'émotion éprouvée atteignait directement son paroxysme. Il n'existe pas de "juste milieu". Dans l'idéal, j'aimerais installer un interrupteur d'émotions, comme un robinet qui me donnerait la possibilité de laisser plus ou moins couler l'émotion, d'en régler l'intensité et la fréquence pour qu'elle soit socialement adaptée à la situation vécue.

Dans un monde parfait, cette fonction s'accompagnerait de l'option "tolérance à l'injustice et au mensonge" ainsi que du livret "comment pardonner en 10 leçons", qui permettrait d'ajouter un peu de flexibilité à mes principes un peu trop rigides. 






Et pourquoi pas une fonction "modulation sensorielle" qui permettrait de régler le volume des informations sensorielles perçues à chaque instant de la journée afin de s'adapter parfaitement à l'environnement quel qu'il soit? Libre à chacun de constituer son propre décodeur selon ses attentes et besoins. Et vous, qu'elles sont les fonctions qui vous seraient le plus utiles?



lundi 6 novembre 2017

La rentrée, une faille dans mon organisation autistique.

Aujourd'hui, c'était la rentrée.
Après deux semaines de calme, il faut à nouveau changer nos habitudes, retrouver nos rituels de période scolaire, s'attacher à des horaires qui ne cadrent pas toujours avec nos besoins. En temps normal, j'y arrive plutôt bien. J'ai eu l'habitude de faire des listes, des plannings, j'ai mis en place une organisation un peu militaire vue de l'extérieur mais qui me permet de prévoir à l'avance comment vont se dérouler les choses et surtout, comment occuper mon temps libre.



Le temps libre dont certains rêvent, j'en ai à revendre, et il m'angoisse terriblement. Une énorme plage horaire vide, sans but, sans repère. Je visualise ce temps blanc, sans aucun plan, et j'ai l'impression de tomber du 20ème étage d'un immeuble sans possibilité de me raccrocher à quoi que ce soit. Si je l'utilise comme je l'aimerais, je me plonge dans quelque chose qui me passionne et j'en oublie tout le reste - même d'aller chercher le louveteau à l'école. C'est donc impossible. Il me faut un temps défini et une activité que je peux arrêter rapidement une fois l'heure venue. J'ai besoin de me discipliner, de quantifier, et surtout de prévoir à la minute près ce qu'il va se passer.


Mais, petit à petit, nous avons pris nos marques, et la rentrée ne devait être qu'une formalité. Le louveteau s'est levé rapidement et à l'heure convenue, notre rituel du matin a vite repris son cours. Il nous rassure, plante les bases de la journée et détermine le bon déroulement du processus "dépôt à l'école".


Arrivés devant l'école. Même heure que d'habitude. Même endroit, une toute petite école, même pas 30 élèves. L'avantage de limiter les interactions, et l'inconvénient de ne pas passer inaperçue. Terrain connu et normalement maîtrisé sur le bout des doigts. On y retrouve donc l'agitation habituelle. Le bruit qui t'assomme. Les gens qui passent rapidement à côté de toi, qui te bousculent un peu au passage. Un peu sonnée. Seul espoir: s'accrocher à nos habitudes, mises sur pause le temps des vacances mais qui reviennent heureusement très vite. 

Tout est ritualisé au maximum afin de m'éviter de me laisser submerger. Monter l'escalier, huit marches. Lâcher la main du louveteau. Le bonjour à la directrice en serrant la main. Trois pas sur le côté, enlever la veste du louveteau. Le bonjour en serrant la même aux instituteurs présents. Encourager le louveteau à mettre ses chaussons seul et restant dans le timing ultra précis instauré. Même heure, mêmes gestes, mêmes questions, mêmes réponses. Le "bonjour-éclair-en-baissant-la-tête" aux autres parents, la formule de socialisation suprême qu'on arrive pas à dire la plupart du temps. Les regards en coin des autres qui se demandent encore pourquoi tu n'es jamais polie. Oublier de sourire une fois sur deux. S'interroger quand même sur le "pourquoi ils arrivent jamais à la même heure d'un jour sur l'autre?"


Plus que deux minutes à tenir. 


En réalité, j'ai longtemps culpabilisé de renvoyer l'image d'une maman fermée, sauvage, peu sympathique et très hautaine. Comme si ce que je pouvais montrer ne reflétait absolument pas ce que j'étais réellement à l'intérieure. Une barrière invisible entre moi et le monde, entre ce que je suis, ce que je ressens réellement et ce que l'on perçoit de moi. J'avais surtout peur que ça porte préjudice au louveteau. Qu'il passe pour le "fils-de-la-cinglée", qu'il soit stigmatisé, isolé, moqué. J'ai fais des efforts inimaginables pour tenter de socialiser de façon appropriée avec les autres parents mais je n'y arrivais pas. Y'avait pas de réelle envie et surtout, une angoisse monstrueuse à chaque fois que j'essayais de répondre à une question. L'impression que mon cerveau tourne à 3000 à l'heure mais qu'il ne trouve simplement rien à répondre. L'envie parfois de relancer une conversation et l'incapacité de le faire, comme si j'avais besoin d'un mode d'emploi détaillé et d'un script fin de savoir quels mots employer, à quelle fréquence les employer, sur quel ton les prononcer. 


Le louveteau se relève enfin, bisous-rituel, phrase-rituel, et il file vers les copains. Je fais demi-tour, prête à dévaler l'escaliers et à fuir le plus rapidement possible. C'était sans compter sur le papa de je-ne-sais-même-plus-qui. Celui qui sourit toujours avec toutes ses dents. Celui qui parle très fort et éclate de rire à chaque phrase. Le papa méga-sociable-qui-aime-tout-le-monde et que tout le monde adore pour son sens de l'humour, sa gentillesse, son implication dans l'éducation de ses enfants. Ce papa là, qui fait systématiquement le tour de tous les parents pour leur faire la bise et que j'esquive royalement bien depuis plus d'un an, se tient désormais devant moi. Il me regarde fixement, me tend la main et me dit "vous allez bien?".


Bug total. Comme si le temps s'était arrêté, comme si les choses autour de moi s'était figées. Réfléchir, très vite. T'es pas dans mon rituel, toi. Qu'est-ce que tu fais là? Pourquoi est-ce que tu me tends la main? Tu es devenu instituteur? J'ai loupé un épisode? Est-ce que je peux m'enfuir en courant? Est-ce que tu me parles à moi? Y'a personne derrière moi, t'es sûr? Je pourrais pas devenir invisible et m'éclipser secrètement? Qu'est-ce qui te pousse à changer mes habitudes? Pourquoi aujourd'hui? 


Je tends péniblement ma main et baisse la tête. Je sens le regard de la directrice posé sur moi, comme si elle essayait de me dire "je sais que c'est difficile pour vous, courage, ça va aller". J'ai l'impression que mon coeur s'est arrêté, j'ai l'impression de ne plus pouvoir traiter aucune autre information pour l'instant. Comme si j'étais paralysée. Dans un élan d'énergie je me retourne enfin et saute littéralement dans l'escalier. Sortir, le plus vite possible. J'ai oublié de répondre à sa question. J'ai oublié de sourire, aussi. Je l'entends dire "c'est vrai, j'aurais pu vous faire la bise, désolé". Alerte rouge. Est-ce que j'ai encore envoyé le mauvais signal? Est-ce qu'il pense que je n'ai pas répondu parce que je suis vexée qu'il ne me fasse pas la bise? Que je n'ai pas souris parce que je suis fâchée? Pourquoi est-ce que je fais systématiquement passer un message erroné à mon interlocuteur?

Dix minutes maximum. Je suis enfin dehors, seule. Vidée. Epuisée. Coller mon casque sur mes oreilles, rentrer à la maison. Et angoisser toute la journée à l'idée de recommencer demain.



Autisme, mensonges et trahisons.

L orsque l'on parle d'autisme, on parle le plus souvent de difficultés voire d'incompétences sociales, de déficit dans la comm...