dimanche 1 avril 2018

Autisme, mensonges et trahisons.


Lorsque l'on parle d'autisme, on parle le plus souvent de difficultés voire d'incompétences sociales, de déficit dans la communication verbale et/ou non-verbale ou encore d'altération des interactions et de la vie quotidienne aussi bien sur un plan personnel que professionnel. Mais on n'aborde que très rarement ou bien trop furtivement le sujet des difficultés relationnelles directement liées à la sensibilité autistique vis à vis des comportements manipulateurs et mensongers* pourtant bien présents dans notre société actuelle.

La plupart des personnes autistes avec lesquelles j'ai eu l'occasion d'échanger (si ce n'est l'unanimité), présentent de grosses difficultés à faire face aux mensonges et à l'injustice présents sur leur lieu de travail ou au sein même de leur entourage proche. 


Tout d'abord, je lis régulièrement qu'une personne autiste n'est pas capable de mentir et que son aversion pour le mensonge est donc tout à fait naturelle puisqu'elle attends des autres qu'ils la traitent avec le même respect. Je ne parlerais ici qu'en mon nom, puisque comme chacun le sait, il y'a autant de profils autistiques que de personnes autistes. Je suis une très mauvaise menteuse. Et je le sais parce que, oui, il m'est déjà arrivé de mentir, même si je n'aime pas ça, pour des cas de "forces majeures" comme je les appelle. Plus jeune, je mentais pour ne pas avoir à sortir retrouver mes amis lorsque cela m'angoissait trop et qu'ils continuaient d'insister après que j'ai refusé une dizaine de fois. Au travail, je mentais pour ne pas avoir à participer aux évènements sociaux, ou je prétextais un RDV pour fuir un changement de planning qui bouleverserait mes habitudes. Encore une fois, parce qu'on ne m'écoutait pas lorsque je refusais une première fois et que je me sentais prise au piège. Mais mentir, "fabriquer" un mensonge même pour quelque chose d'extrêmement insignifiant, me demande des efforts d'adaptations considérables. Dans ma tête, j'ai besoin de rejouer ce scénario un million de fois, ce n'est pas naturel. Visuellement, je suis mal à l'aise. Je dissocie** systématiquement. Et, évidemment, je me sens tellement mal que je finis forcément par avouer la vérité à plus ou moins long terme.







Quelle différence, donc?


Là où réside la principale différence avec une personne neurotypique, c'est que je suis incapable de simuler, ni de mentir sur ce que je ressens réellement. Mentir sur des faits m'est difficile, mentir sur un ressenti est impossible. A l'image de la plupart des personnes autistes, je dis la vérité, parfois de façon très brute, mais je ne sais pas mentir sur mes sentiments. Je ne sais même pas les cacher et encore moins les garder pour moi. Je suis incapable de faire semblant d'apprécier quelqu'un. Je ne suis pas capable non plus de faire semblant de m'intéresser à une conversation qui m'ennuie profondément, ni même d'adresser un sourire forcé à qui que ce soit. Encore moins de passer volontairement du temps avec quelqu'un que je n'ai pas vraiment envie de voir.

La société actuelle, pourtant, se vante de ne pouvoir fonctionner autrement. Il est communément admis que de complimenter la voisine sur sa nouvelle coupe de cheveux même lorsqu'on ne l'aime pas (la coupe de cheveux, évidemment), c'est normal. Et on pousse même le vice à dire que c'est une question de politesse et que de déroger à cette règle fait de vous une personne mal élevée. 


Je rejette violemment cette idée de politesse, cette notion de respect qui pour moi n'est que de l'hypocrisie masquée. Je me sens mal à l'aise en société parce je ne suis pas en mesure de faire la différence entre ce qu'on me dit par politesse et ce que l'on ressent vraiment. Et que ce n'est pas juste, parce que moi, je ne fais pas semblant. Non seulement parce que je ne sais pas le faire, mais plus encore parce que je n'en ai pas du tout envie. Ca me coûte trop.

Je pense que c'est l'une des raisons, si ce n'est LA raison principale pour laquelle je réagis si fortement au mensonge des autres et encore plus venant de quelqu'un de mon entourage.
Lorsque vous ne maîtrisez pas la communication non-verbale et que vous avez de plus une perception du monde un peu différente, il ne vous reste que les paroles de votre interlocuteur pour tenter de comprendre ce qu'il pense, ce qu'il ressent. Si même les mots sont faussés, il ne me reste plus rien pour me faire une idée précise du véritable ressenti de l'autre. Lorsque vous me mentez sur vos sentiments réels, quel que soit l'excuse et la nécessité, même si vous pensez bien faire pour ne pas me blesser, je me sens perdue et dévastée. Lorsque vos actes vont à l'encontre de vos mots, où est la vérité? Je réagis souvent violemment car, en l'espace d'un instant, toutes les informations vous concernant que j'avais soigneusement étiquetées et rangées dans ma tête volent en éclats et je n'ai plus aucun moyen de discerner le vrai du faux. 



Mais encore plus qu'au mensonge et à la trahison, et comme toute personne autiste, je réagis très fortement à l'injustice. Malheureusement, plus je grandis (vieillis, disons le), plus je suis confrontée au monde extérieur et à toutes les injustices et inégalités qu'il comporte. De l'enfant récompensé lorsqu'il fait du mal, au collègue qui vole votre travail et à qui on offre la promotion. Les inégalités sont partout. Nous y sommes confrontés chaque jour. Bien évidemment, les personnes neurotypiques ont, pour la plupart, une certaine sensibilité à l'injustice, surtout vis à vis des exemples cités.



Quelles différences avec une personne autiste?


Comme beaucoup de personnes autistes, j'ai un système de pensées très précis selon lequel un bon comportement doit être récompensé et un mauvais, sanctionné. Et j'ai, de plus, de grosses difficultés à changer mes habitudes ou à modifier les informations que j'ai préalablement enregistrées. Je ne suis pas capable d'aller à l'encontre de ça, même pour quelque chose de minime. Quelles que soient vos explications. Quelles que soient les justifications que vous présenterez. Et c'est très important, parce que qu'importe l'amour que je vous porterai, je n'accepterai pas de pardonner. J'en suis incapable. Je ne sais même pas comment on fait. A l'inverse d'une personne neurotypique qui analyserait la situation et serait peut-être plus nuancée dans sa réponse à un comportement injuste, je ne suis pas capable de passer outre. Ce serait remettre en cause les bases même de mon fonctionnement.


Mais c'est positif, d'être trop honnête, non?


L'injustice, qu'elle me concerne directement ou que j'en sois simplement spectatrice, me rends malade. Et, la plupart du temps, les personnes neurotypiques qui m'entourent, aussi sensibles soit-elles en temps normal, n'en comprennent pas les raisons. Là où elles voient un malentendus, je vois une injustice tellement grande que je ne peux pas me taire.

Au delà du sentiment d'impuissance qu'elle me procure, elle me rends physiquement malade. La douleur ressentie est souvent telle que je peux passer des heures à me taper littéralement la tête dans les murs. A m'arracher la peau. A jeter chacun des objets qui me tombe sous la main contre le mur. Jusqu'à ne plus avoir de force. Je ne mange plus. Je ne dors plus. Je ne suis plus en état de fonctionner correctement. J'enchaîne les burn-out autistiques sans répit. Je suis une tornade, un monstre de violence et de rage. Parce que je souffre. Simplement parce que les choses ne sont pas comme elles devraient l'être dans mon idéal. Les choses ne sont pas à leur place. Et que j'ai besoin que les choses s'organisent de manière à rétablir l'équité. Ce n'est pas juste un caprice, ce n'est pas juste un moyen narcissique d'attirer l'attention comme j'ai pu parfois le lire. C'est une souffrance inimaginable pour qui ne la pas vécu.




On oublie trop souvent que, qu'importe ma faculté à communiquer au quotidien, qu'importe mon degré d'autonomie et les atouts que je peux présenter dans certains domaines, je reste avant tout une personne autiste. Avec un fonctionnement autistique. Des raisonnements pragmatiques et une vision très binaire des évènements. Une mauvaise compréhension des autres. Une sensibilité et des réactions autistiques, des réactions que l'on se retient de montrer à la télé ou que l'on réserve aux personnes autistes sévères, sans vraiment comprendre qu'une personne autiste, qu'importe son degré de sévérité, reste une personne avec un fonctionnement différent de la norme et que cela entraîne indéniablement des réactions inhabituelles et très fortes. Malheureusement, c'est là tout l'inconvénient d'un handicap invisible, on me demande de me comporter de manière raisonnée, socialement acceptable, en toutes circonstances. On me demande de prendre sur moi, chose que je fais déjà plus de 90% du temps pour m'adapter à mon environnement. Je ne peux pas tout faire. Je ne suis pas un super-héro.

Je me sens si rigide, inflexible sur ces principes. Cette hypersensibilité au mensonge et à l'injustice, ces réactions toutes plus violentes et ce rejet de l'hypocrisie, ce sont les fondements même de ce que je suis. Ils déterminent ce que je ressens. Ils guident mes actes au quotidien. Lorsque je me sens trahie, je suis capable de mettre fin à une relation. Qu'importe sa nature, qu'importe sa durée. Mais à l'inverse de ce que l'on perçoit habituellement, je considère que je fonctionne de manière bien plus simpliste qu'un individu neurotypique. Il n'est pas question avec moi de se demander à chaque instant si je mens, si je trompe, si je manipule. Je ne suis que très peu soumise aux conventions sociales, parce que je ne les comprends pas. Ce que je fais, je le fais pas envie. Ce que je dis, je le pense très sincèrement.
Mais il est aujourd'hui communément admis qu'une personne qui dit ce qu'elle pense sans se soucier de ce que ressens son interlocuteur est une personne malveillante. Je suis perçue comme une personne froide et égocentrique. Vide d'empathie, vide de tout sentiment positif. Et quoi qu'on en dise, quoi qu'on aime raconter, c'est moi qui en souffre le plus.






*Je fais ici référence aux comportements banalisés, aux "petits" mensonges classiques qui sont, pour les personnes neurotypiques, tout à fait normaux et courants.



** J'appelle dissociation le fait d'être en état de déréalisation. En savoir plus ici. 

samedi 10 mars 2018

Parler de son diagnostic, pour ou contre?


Depuis quelques temps, je vois régulièrement des personnes autistes se questionner sur l'intérêt de dévoiler ou non son diagnostic, que ce soit dans la sphère privée ou sur son lieu de travail.
Lorsqu'on reçoit (enfin !) son diagnostic en bonne et due forme, on se pose forcement la question d'en parler ou non à son entourage - du moins, aux personnes qui n'étaient jusque là pas encore au courant de nos démarches.

Mais à qui en parler? Comment le dire? Quelles seront les réactions? Et si c'était mieux de vivre cachés? 



J'ai longtemps pensé qu'il était indispensable d'en parler. Pas nécessairement pour justifier son comportement, comme certains tendent à le penser, mais pour fournir une explication à nos bizzareries et surtout, pour permettre aux personnes qui nous sont proches d'anticiper certaines de nos réactions afin d'éviter tout malentendu. Je croyais donc, un peu naïvement, que lorsque les gens apprendraient que je suis autiste, ils allaient se positionner en tant qu'aidants et que je trouverai des alliés pour pallier à mes difficultés quotidiennes. C'était un peu optimiste de ma part, puisqu'avec le recul je me rends compte que l'idéologie selon laquelle nous sortons de la norme et DEVONT de ce fait nous adapter aux autres est encore bien présente. 

J'ai pris le parti de ne pas dévoiler mon diagnostic sur mon lieu de travail. Aujourd'hui licenciée pour inaptitude, je me demande si, par le plus grand des hasards, parler ouvertement de mon handicap aurait été positif. Très sincèrement, je ne pense pas. Mais je regrette de ne pas l'avoir fait, parce que, même pour un temps, j'aurais aimé pouvoir être honnête et énoncer clairement mes points faibles. J'aurais sûrement eu plus de facilités à évoluer dans le monde du travail sans faire attention à tout ce que je fais et dis, et surtout, j'aurais pu mettre en avant mes compétences réelles et précieuses pour l'emploi que j'occupais, sans que l'on ne me mette "sur la touche" uniquement parce que je ne renvoyais pas l'image d'un salarié classique. 

Dans la sphère privée, j'en ai parlé. Beaucoup. J'ai eu envie de le dire, avec mes mots. Très simple. "Je suis autiste". Il y'avait enfin un mot sur ma différence. Je me sentais un peu envahie d'une mission d'information et je voulais toucher le plus de gens possible. Je voulais que l'on me comprenne. Pas que l'on m'excuse, juste que l'on sache qu'il y'a une raison à mes comportements, une logique à mes raisonnements et une explication à mes faux pas et à mes crises récurrentes. Au début, on m'a posé des questions. Ce qui se passe dans ma tête, pourquoi, comment. J'ai tenté d'expliquer au mieux,  j'ai partagé un nombre incalculable d'articles et j'ai essayé d'exprimer ce que je vivais, même si mettre des mots concrets sur ce que je ressens était encore très compliqué pour moi. J'ai fais des schémas, j'ai expliqué, j'ai illustré par des exemples.

Pourquoi les surcharges sensorielles dans les lieux bruyants / aux lumières trop fortes. Pourquoi mes périodes d'absences, plongée dans mes IRs et pourquoi je me sens si bien lorsque ça m'arrive. Pourquoi je ne comprends jamais ce que l'on me dit, pourquoi je ne sais pas anticiper les réactions des autres. Pourquoi je suis un peu brute lorsque je parle, pourquoi je ne sais pas mentir. Je voulais tout décrire, tout expliquer. Encore une fois, un peu naïvement, je pensais que ça aiderait mon entourage à se mettre à ma place lors de situations compliquées et que ça leur permettrait d'agir en conséquence.

Et puis petit à petit, j'ai eu l'impression de n'être plus qu'un diagnostic. Une personne vide de caractère, un numéro sur une liste. On continuait de me demande ce que je ressentais, mais en m'expliquant finalement que c'était à moi de changer. On me faisait remarquer que mon comportement n'était pas adéquate et que, comme j'en avais conscience, il fallait que j'y remédie. On me disait systématiquement que je ne comprendais rien aux relations humaines et que par conséquent, je devais faire confiance aveuglement à l'analyse qu'en faisaient les autres. A chacun de mes mots, pour chacune de mes réactions, on cherchait la cause "autistique". 

"Tu ne supportes pas l'injustice? C'est parce que tu es autiste." (vrai)
"Tu as des vertiges lorsque la lumière est trop forte? C'est parce que tu es autiste" (vrai)
"Tu mets des jupes et tu aimes la musique classique? C'est parce que tu es autiste."
Et si tu aimes les patates, c'est aussi parce que... enfin bref. 

Au lieu de me retrouver aux côtés de personnes qui pouvaient me soutenir et m'aider à mieux me comprendre et à me gérer, j'ai vite été confrontée au "mauvais côté" de l'annonce. Le paradoxe, c'est qu'on rattache énormément de choses à mon diagnostic, et qu'en même temps, j'ai l'impression qu'on n'en tient pas compte. Je n'ai le droit à aucun écart, parce que je suis autiste. Et comme je suis au courant de mon diagnostic, je devrais prendre sur moi. Je devrais m'adapter. Faire l'effort d'être normale. Ne plus m'imposer aux autres. Ne plus faire de crises. Au lieu d'obtenir de l'aide, j'ai reçu l'inverse: des reproches et des difficultés supplémentaires puisqu'au lieu de m'autoriser à être moi-même, on m'enferme dans des cases. On me dit de me faire soigner, puisque je sais que je ne suis pas normale. On me dit de m'adapter, puisque je connais mon problème. On me dit qu'on ne veut plus me subir, et si je n'avais jamais parlé de mon diagnostic, on m'aurait sûrement pardonné plus facilement.
Je ne suis plus une personne à part entière, autiste certes, mais avec son caractère, ses envies, ses rêves. Aujourd'hui et pour beaucoup, je suis juste une autiste. Et ce n'est pas très positif.


lundi 20 novembre 2017

Un décodeur de neurotypiques, ça existe ?




Plus je grandis, plus j'évolue dans ma vie personnelle et professionnelle, et plus je ressens ce décalage social et relationnel caractéristique de l'autisme. Comme si, malgré tous mes efforts et toutes les stratégies mises en place depuis des années pour naviguer sereinement dans ce monde, il me manquait toujours les fonctions de base nécessaires qu'aucun apprentissage n'avait pu combler. Ces "modules" cognitifs, automatiquement intégrés à la naissance chez tout être humain neurotypique, sont le fondement même de l'être et déterminent la façon dont il appréhende les situations quotidiennes. Ils permettent de s'adapter de façon adéquate aux situations vécues et de manoeuvrer de façon à tisser des liens sociaux actifs dans le but de s'intégrer au mieux dans la société actuelle.

La compréhension des autres et de leur fonctionnement, ainsi que la perception différente du monde qui nous entoure constituent des difficultés colossales pour les personnes autistes. Alors, dans mon monde idéal, on a trouvé la solution: il suffirait de créer un décodeur de neurotypiques. Un tout petit objet cylindrique et lisse, qui tiendrait dans le creux de la main et se glisserait facilement dans une poche pour que je puisse l'emporter avec moi partout où je vais. Il disposerait des fonctions de base primordiales à la bonne compréhension des personnes qui m'entourent. Ce serait mon traducteur, mon adaptateur, mon régulateur social. En bref, un atout indispensable !




La fonction "lecture des pensées"


Ce serait indéniablement la fonction la plus utile; c'est en tout cas celle qui me fait le plus défaut à l'heure actuelle. Je serais enfin capable de connaître les pensées réelles de mon interlocuteur, mais aussi de déterminer ses émotions avec précision. Comme un petit logiciel de traduction instantanée, il isolerait les informations sous-entendus et implicites que je ne saisis pas et les transformerait en des phrases claires et sans équivoque. Encore mieux ! Il analyserait le langage non-verbal et l'intonation employée et m'enverrait une "Alerte ! Humour" ou bien encore une "Alerte ! Mensonge"chaque fois que c'est nécessaire, de sorte à ce que je ne passe plus à côté de l'essentiel de la communication globale.

Mon décodeur aurait en plus la faculté inestimable de lire littéralement les émotions sur le visage des gens qui m'entourent et de me décrire en détails ce qu'ils ressentent à chaque moment. Les émotions seraient regroupées par catégories, étiquetées avec une description précise des mécanismes de  leur fonctionnement et des réactions socialement acceptables à adopter. Les alertes "Attention, interlocuteur triste / fâché / ennuyé / vexé" s'activeraient au besoin et m'aideraient à décoder l'état d'esprit exact dans lequel se trouve mon interlocuteur. Il me serait alors bien plus facile de saisir les intentions et besoins des autres et de me conformer à leurs attentes. 







La fonction "code sociaux"




Voilà encore une fonction essentielle qui me manque cruellement au quotidien. Non seulement, j'aurais la possibilité de visualiser d'un coup d'oeil l'ensemble des conventions de rigueur, mais en plus, j'aurais la possibilité d'anticiper les réactions des autres face à mes paroles afin de ne plus commettre de faux pas. De plus, un petit "Rappel ! Les conventions sociales prévoient que l'on utilise telle ou telle formule à ce moment là"me serait bien utile, de sorte à ce que je ne passe plus pour quelqu'un d'impoli et distant, ou au contraire trop familier, même lorsque je suis persuadée d'avoir fait un sans faute. Pour aller plus loin, on pourrait même imaginer y intégrer un mode d'emploi détaillé qui expliquerait ce qu'il faut dire, à quel moment précis le dire, comment se positionner, quels sont les gestes appropriés.. autant d'informations essentielles qui nous manquent pour d'établir un contact social ou simplement relancer une conversation banale. Cela nous fournirait, en quelques sortes, un catalogue des interactions sociales, qui contiendrait un panel de petites phrases "passe-partout" à placer en société.

Le module "témoigner efficacement sa compassion" serait téléchargeable en supplément et m'expliquerait la marche à suivre pour exprimer verbalement les concepts d'empathie affective et de sympathie. Il m'éviterait, entre autre, de répondre systématiquement de façon pragmatique et rationnelle lorsqu'on m'expose un problème émotionnel et de prêter une oreille attentive sans donner l'impression erronée que les soucis de l'autre ne m'intéressent pas. 







La fonction "régulation des émotions"


... qui arrive en troisième position, mais qui n'en est pas moins importante que les deux premières. Je rêve depuis toujours d'avoir la capacité à gérer mes émotions comme les autres. Comme la plupart des personnes autistes, j'ai l'impression de n'exercer aucun contrôle sur l'expression de ce que je ressens. Tout est vécu de façon brute, ressenti à mille pour-cent. D'une seconde à l'autre, je passe d'un état à l'autre, comme si il n'y avait aucune nuance et que l'émotion éprouvée atteignait directement son paroxysme. Il n'existe pas de "juste milieu". Dans l'idéal, j'aimerais installer un interrupteur d'émotions, comme un robinet qui me donnerait la possibilité de laisser plus ou moins couler l'émotion, d'en régler l'intensité et la fréquence pour qu'elle soit socialement adaptée à la situation vécue.

Dans un monde parfait, cette fonction s'accompagnerait de l'option "tolérance à l'injustice et au mensonge" ainsi que du livret "comment pardonner en 10 leçons", qui permettrait d'ajouter un peu de flexibilité à mes principes un peu trop rigides. 






Et pourquoi pas une fonction "modulation sensorielle" qui permettrait de régler le volume des informations sensorielles perçues à chaque instant de la journée afin de s'adapter parfaitement à l'environnement quel qu'il soit? Libre à chacun de constituer son propre décodeur selon ses attentes et besoins. Et vous, qu'elles sont les fonctions qui vous seraient le plus utiles?



lundi 6 novembre 2017

La rentrée, une faille dans mon organisation autistique.

Aujourd'hui, c'était la rentrée.
Après deux semaines de calme, il faut à nouveau changer nos habitudes, retrouver nos rituels de période scolaire, s'attacher à des horaires qui ne cadrent pas toujours avec nos besoins. En temps normal, j'y arrive plutôt bien. J'ai eu l'habitude de faire des listes, des plannings, j'ai mis en place une organisation un peu militaire vue de l'extérieur mais qui me permet de prévoir à l'avance comment vont se dérouler les choses et surtout, comment occuper mon temps libre.



Le temps libre dont certains rêvent, j'en ai à revendre, et il m'angoisse terriblement. Une énorme plage horaire vide, sans but, sans repère. Je visualise ce temps blanc, sans aucun plan, et j'ai l'impression de tomber du 20ème étage d'un immeuble sans possibilité de me raccrocher à quoi que ce soit. Si je l'utilise comme je l'aimerais, je me plonge dans quelque chose qui me passionne et j'en oublie tout le reste - même d'aller chercher le louveteau à l'école. C'est donc impossible. Il me faut un temps défini et une activité que je peux arrêter rapidement une fois l'heure venue. J'ai besoin de me discipliner, de quantifier, et surtout de prévoir à la minute près ce qu'il va se passer.


Mais, petit à petit, nous avons pris nos marques, et la rentrée ne devait être qu'une formalité. Le louveteau s'est levé rapidement et à l'heure convenue, notre rituel du matin a vite repris son cours. Il nous rassure, plante les bases de la journée et détermine le bon déroulement du processus "dépôt à l'école".


Arrivés devant l'école. Même heure que d'habitude. Même endroit, une toute petite école, même pas 30 élèves. L'avantage de limiter les interactions, et l'inconvénient de ne pas passer inaperçue. Terrain connu et normalement maîtrisé sur le bout des doigts. On y retrouve donc l'agitation habituelle. Le bruit qui t'assomme. Les gens qui passent rapidement à côté de toi, qui te bousculent un peu au passage. Un peu sonnée. Seul espoir: s'accrocher à nos habitudes, mises sur pause le temps des vacances mais qui reviennent heureusement très vite. 

Tout est ritualisé au maximum afin de m'éviter de me laisser submerger. Monter l'escalier, huit marches. Lâcher la main du louveteau. Le bonjour à la directrice en serrant la main. Trois pas sur le côté, enlever la veste du louveteau. Le bonjour en serrant la même aux instituteurs présents. Encourager le louveteau à mettre ses chaussons seul et restant dans le timing ultra précis instauré. Même heure, mêmes gestes, mêmes questions, mêmes réponses. Le "bonjour-éclair-en-baissant-la-tête" aux autres parents, la formule de socialisation suprême qu'on arrive pas à dire la plupart du temps. Les regards en coin des autres qui se demandent encore pourquoi tu n'es jamais polie. Oublier de sourire une fois sur deux. S'interroger quand même sur le "pourquoi ils arrivent jamais à la même heure d'un jour sur l'autre?"


Plus que deux minutes à tenir. 


En réalité, j'ai longtemps culpabilisé de renvoyer l'image d'une maman fermée, sauvage, peu sympathique et très hautaine. Comme si ce que je pouvais montrer ne reflétait absolument pas ce que j'étais réellement à l'intérieure. Une barrière invisible entre moi et le monde, entre ce que je suis, ce que je ressens réellement et ce que l'on perçoit de moi. J'avais surtout peur que ça porte préjudice au louveteau. Qu'il passe pour le "fils-de-la-cinglée", qu'il soit stigmatisé, isolé, moqué. J'ai fais des efforts inimaginables pour tenter de socialiser de façon appropriée avec les autres parents mais je n'y arrivais pas. Y'avait pas de réelle envie et surtout, une angoisse monstrueuse à chaque fois que j'essayais de répondre à une question. L'impression que mon cerveau tourne à 3000 à l'heure mais qu'il ne trouve simplement rien à répondre. L'envie parfois de relancer une conversation et l'incapacité de le faire, comme si j'avais besoin d'un mode d'emploi détaillé et d'un script fin de savoir quels mots employer, à quelle fréquence les employer, sur quel ton les prononcer. 


Le louveteau se relève enfin, bisous-rituel, phrase-rituel, et il file vers les copains. Je fais demi-tour, prête à dévaler l'escaliers et à fuir le plus rapidement possible. C'était sans compter sur le papa de je-ne-sais-même-plus-qui. Celui qui sourit toujours avec toutes ses dents. Celui qui parle très fort et éclate de rire à chaque phrase. Le papa méga-sociable-qui-aime-tout-le-monde et que tout le monde adore pour son sens de l'humour, sa gentillesse, son implication dans l'éducation de ses enfants. Ce papa là, qui fait systématiquement le tour de tous les parents pour leur faire la bise et que j'esquive royalement bien depuis plus d'un an, se tient désormais devant moi. Il me regarde fixement, me tend la main et me dit "vous allez bien?".


Bug total. Comme si le temps s'était arrêté, comme si les choses autour de moi s'était figées. Réfléchir, très vite. T'es pas dans mon rituel, toi. Qu'est-ce que tu fais là? Pourquoi est-ce que tu me tends la main? Tu es devenu instituteur? J'ai loupé un épisode? Est-ce que je peux m'enfuir en courant? Est-ce que tu me parles à moi? Y'a personne derrière moi, t'es sûr? Je pourrais pas devenir invisible et m'éclipser secrètement? Qu'est-ce qui te pousse à changer mes habitudes? Pourquoi aujourd'hui? 


Je tends péniblement ma main et baisse la tête. Je sens le regard de la directrice posé sur moi, comme si elle essayait de me dire "je sais que c'est difficile pour vous, courage, ça va aller". J'ai l'impression que mon coeur s'est arrêté, j'ai l'impression de ne plus pouvoir traiter aucune autre information pour l'instant. Comme si j'étais paralysée. Dans un élan d'énergie je me retourne enfin et saute littéralement dans l'escalier. Sortir, le plus vite possible. J'ai oublié de répondre à sa question. J'ai oublié de sourire, aussi. Je l'entends dire "c'est vrai, j'aurais pu vous faire la bise, désolé". Alerte rouge. Est-ce que j'ai encore envoyé le mauvais signal? Est-ce qu'il pense que je n'ai pas répondu parce que je suis vexée qu'il ne me fasse pas la bise? Que je n'ai pas souris parce que je suis fâchée? Pourquoi est-ce que je fais systématiquement passer un message erroné à mon interlocuteur?

Dix minutes maximum. Je suis enfin dehors, seule. Vidée. Epuisée. Coller mon casque sur mes oreilles, rentrer à la maison. Et angoisser toute la journée à l'idée de recommencer demain.



mardi 10 octobre 2017

Non, on est pas tous un peu autiste.

Lorsqu'on annonce un diagnostic d'autisme à son entourage, on est souvent confronté à toutes sortes de réactions plus ou moins étranges. Certains seront soulagés de pouvoir mettre un mot sur notre différence et feront rétrospectivement l'analyse de tous nos comportements inadaptés en s'exclamant "mais c'est pour çaaaa". D'autres seront plutôt dans le déni et t'expliqueront que c'est impossible parce que l'autisme c'est une "maladie* très grave" et que toi, tu: - parles - fais des câlins - regarde dans les yeux - a de l'humour (rayer la mention inutile). Quelques-uns, plus dubitatifs et souvent fans aguerris de science fiction, te demanderont peut-être de compter en un clin d'oeil le nombre d'allumettes présents sur la table ou de réciter le tableau périodique à l'envers pour le prouver. Sans oublier ceux qui te demanderont d'un regard méfiant si tu aimes te balancer et si tu es tout de même capable de ressentir des émotions.

L'autisme reste méconnu dans les pays francophones, même si les informations à son propos se multiplient depuis quelques années et il n'est donc pas rare d'être obligé de se battre contre les préjugés. Quasiment tous les autistes fraîchement diagnostiqués se sont vus se lancer soudainement dans des explications toutes plus précises les unes que les autres afin d'informer au mieux et d'éradiquer une bonne fois pour toutes les clichés les plus tenaces.


Mais, même si la plupart des réactions citées ci-dessus peuvent faire sourire, il en est une qui a le don de me faire bondir de ma chaise en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, une injonction qui m'énerve encore plus que le fameux "mais t'as pas l'air autiste" et que malgré mes efforts effrénés pour en saisir le sens premier, je ne comprendrais jamais. Mesdames et messieurs, roulement de tambours,  j'ai l'honneur de vous présenter la fameuse:



"Tu sais, on est tous un peu autiste"



L'autisme étant un spectre allant de sévère à léger, je peux aisément concevoir qu'on ait du mal à distinguer la frontière entre ses différents degrés de sévérités, d'autant que certains auront des difficultés plus marquées dans un domaine et compenseront plus facilement dans d'autres. Mais contrairement à ce que l'on tend à croire, la neurotypie** n'est pas l'équivalent d'un autisme très léger. Tu ne peux pas te balader sur l'extrémité légère du continuum autistique et basculer de temps en temps au pays merveilleux de la neurotypie. Ca ne fonctionne pas comme ça. Pour faire la différence, il existe un seuil défini bien précis, aussi appelé "seuil de diagnostic".






Un autiste ne sera jamais neurotypique, au même titre qu'un neurotypique ne sera jamais autiste. Ils se distinguent par un fonctionnement cognitif totalement différent et un défaut de modulation sensorielle plus ou moins prononcé et ce, quel que soit le degré de sévérité de l'autisme.


Tout d'abord, je ne comprends pas cette envie soudaine de se revendiquer "un peu autiste" dès qu'un autiste (un vrai, tu sais?) fait part de son diagnostic. Il n'y a aucune fierté spécifique à être autiste. Ce n'est ni une compétence particulière, ni un exploit. C'est un fait, c'est notre condition, c'est une partie de notre identité. Ca n'a rien de glorieux et ça n'implique aucun super pouvoir non plus.

Pour poser un diagnostic d'autisme, il faut réunir un certains nombre de critères très spécifiques. L'hyperesthésie***, par exemple, n'est pas exclusive aux Troubles du Spectre Autistique et peut être coutumière d'individus ne présentant aucune affection neurologique, psychiatrique ou physiologique. Au-delà des symptômes présents, qui peuvent potentiellement se retrouver indépendamment dans certaines pathologies, il est important de se pencher sur leur vivacité et leur durée ainsi que sur les mécanismes à l'origine de ces dysfonctionnement. SuperPepette explique très bien ici ce concept de temporalité et cette intensité significative des particularités autistiques. 


L'autisme à la carte, ça n'existe pas


Rappelons également que l'autisme est un trouble reconnu officiellement comme étant un handicap invisible. Un handicap que l'on vit au quotidien et qui n'a absolument rien d'enviable. Que certaines personnes avec autisme compensent, c'est à dire, qu'elles parviennent à palier un temps à certaines de leurs difficultés et qu'elles arrivent parfois à se "fondre dans la masse" ne signifie en aucun cas que leur handicap a miraculeusement disparu. Ca ne veut pas non plus dire qu'en prenant sur soi on finit par masquer complètement nos différences et à s'intégrer de façon constante à la société actuelle. Il n'y a pas de baguette magique, pas de remède miracle.

Ces dernières années, on a constaté l'émergence de nombreux personnages porteurs du Syndrome d'Asperger à l'écran. Des personnages qui sont, pour la plupart, dotés d'une intelligence plutôt haute et dont les difficultés principales sont minimisées, voir tournées à la dérision. On s'enfonce dans le cliché de l'autiste asocial qui ne supporte pas de faire la queue au supermarché mais se rend sans difficulté à une conférence d'astro-physique (si ce n'est pas lui qui la donne). L'autiste est marginal et on apprécie sa compagnie, on rigole de ses quelques maladresses et on s'incline devant son esprit méticuleux.

Je suis désolée de vous décevoir, mais ce cliché de l'autiste idéalisé ne se vérifie que très rarement et n'est absolument pas représentatif de la majorité des personnes concernées. L'autisme, c'est un décalage permanent et une perception différente du monde qui nous entoure. Ce sont des particularités sensorielles qui font que l'on peut avoir des difficultés quotidiennes à effectuer des tâches que la plupart des personnes neurotypiques réussissent sans encombre. C'est une alteration de la vie sociale dans tous les domaines, soit parce que nos perceptions différentes et nos réactions  entraînent un rejet total ou partiel, soit parce que nos efforts d'adaptabilité sont source d'angoisses et d'épuisement.


Qu'est-ce que vous voulez vraiment dire

quand vous dites qu'on est tous un peu autiste?


La plupart des personnes neurotypiques ont déjà fait l'expérience d'une fatigue intense après un rassemblement social ou de réactions anxieuses face à une situation donnée. La plupart ont déjà fait preuve de maladresse en société et ont une fois eu du mal à contenir leurs émotions. Pourtant, il s'agit là d'évènement isolés qui ont une durée limitée dans le temps et n'ont pour ainsi dire aucune incidence sur leur vie à long terme. Les personnes avec autisme feront ces expériences tout au long de leur vie, et, même si les mécanismes développés en vue de compenser leurs difficultés peuvent faire illusion, les conséquences sur leurs expériences personnelles et/ou socio-professionnelles ne sont pas négligeables.



Dire que l'on est tous "un petit peu autiste" revient à nier complètement la souffrance des personnes avec autisme. C'est écraser leurs difficultés, rabaisser le courage dont ils font preuve pour affronter tant que bien que mal certaines situations de la vie quotidienne - situations qui, soit-dit en passant, paraissent cruellement banales aux yeux des personnes neurotypiques-.
C'est dénigrer leur combat continuel et réduire leurs efforts à néant.


Alors, si malgré ces explications vous souhaitez vous aussi être "un petit peu" autiste, je partagerai volontiers mes angoisses parfois extrêmes, mon isolement social, les nombreux malentendus avec les personnes que j'aime, mes sentiments chroniques de vides et mes journées cloîtrées en boule sur mon canapé parce que je n'ai plus la force de me lever. J'échangerai avec plaisir les regards dédaigneux lorsque je ne sais pas m'arrêter de parler de ce qui me passionne, mon incapacité à tenir un emploi - que j'aime, pourtant- au delà de quelques mois, mes crises de surcharge, mes meltdowns et mon inaptitude flagrante à exprimer mes sentiments de manière socialement acceptable.



* l'autisme n'est pas une maladie mais un trouble neuro-développemental.
** neurotypique: désigne une personne non autiste.
*** l'hyperesthésie désigne l'exagération physiologique ou pathologique de la sensibilité des divers sens.

Autisme, mensonges et trahisons.

L orsque l'on parle d'autisme, on parle le plus souvent de difficultés voire d'incompétences sociales, de déficit dans la comm...